Essai paru le 04/11/2021
Après les 300, 350 et plus de 400 chevaux voici qu’un 600 vient secouer la concurrence. Et il s’agit encore d’un Mercury qui, il y a deux ans, avait déjà ravi à Yamaha la palme du plus puissant hors-bord de grande série. Son arrivée est non seulement un grand bond en avant en termes de puissance, mais pas seulement : il présente aussi une technologie innovante. Nous avons pu le découvrir en statique mais aussi en dynamique sur deux semi-rigides de haute performance. Gaz !
Texte Philippe Leblond – Photos Philippe Leblond et DR
Monumental, forcément, tant au plan physique (près de 600 kilos), qu’à celui de l’architecture (12 cylindres en V, quatre arbres à cames en tête, 48 soupapes), le tout nouveau Verado 600 ch a fait sa première européenne dans le cadre du Cannes Yachting Festival. Sa monstrueuse puissance interroge… Jusqu’où iront les motoristes du hors-bord ? Depuis une dizaine d’années, c’est la surenchère dans la course à la grande puissance. Un développement des gammes vers le haut, dont on a du mal à cerner les responsables : s’agit-il des motoristes ou bien des constructeurs de bateaux ? Toujours est-il que l’on découvre, chaque année ou presque, des hors-bord aux puissances inédites, mais aussi les bateaux capables de les recevoir. A tel point qu’aujourd’hui, arrivent sur le marché des coques open et même des vedettes de 40, 50 voire 60 pieds, propulsées par des moteurs extérieurs. Impensable auparavant. Cette tendance lourde est en train de signer l’arrêt de mort des mécaniques in-board, surtout à essence, mais les diesels de moyennes puissances ne sont pas épargnés. On peut néanmoins se poser la question de savoir si cette configuration, qui voit de plus en plus de puissance placée en porte-à-faux arrière avec des montages à trois, quatre, voire cinq hors-bord, est rationnelle au plan de l’équilibre des bateaux et de leur résistance structurelle sur le long terme…
Une boîte de vitesses automatique
Toutefois, pas question ici de faire le procès de cette imposante mécanique de 600 chevaux, d’autant qu’elle apporte son lot d’innovations. Ce moteur super carré (alésage supérieur à la course) est capable de prendre 6 400 tr/min, au maximum de son régime, et de fournir un couple très important grâce à son énorme cylindrée et à sa… boîte de vitesses automatique à deux rapports. Une première dans le domaine du hors-bord ! - on l’avait déjà vu sur les in-board Lamborghini V12 en Offshore Classe 1 au milieu des années 90… Le nouveau V12 est un Verado qui ne recourt pas à la respiration artificielle (bye-bye le compresseur !). Ce pur atmosphérique, à la cylindrée jamais atteinte pour un hors-bord (7 600 cm3 !), est le premier à recourir à la noble architecture du V12. Pourquoi un tel choix ? Nous attendons toujours la réponse posée à deux reprises par email au responsable technique de Mercury Marine… Oui, pourquoi cette architecture qui n’est pas dans la culture US depuis longtemps nourrie au V8, à la différence des Italiens, les plus prolixes géniteurs de moteurs V12 de la planète ? Sans doute pour tenir l’objectif « minceur » qui semble avoir été une priorité pour le motoriste américain. Peu importe la hauteur du bloc pourvu qu’il prenne le moins de largeur possible sur le tableau arrière, à la fois pour laisser plus d’espace sur la plateforme de bain et, le cas échéant – sur les bateaux les plus grands – pouvoir monter plusieurs V12. Pour ce faire, non seulement, l’angle du V n’est ouvert qu’à 64 degrés, mais la cylindrée unitaire étant plus faible (633 cm3 au lieu de 950 pour un 8 cylindres), le diamètre des cylindres est plus étroit et donc le bloc moteur moins large. Cela permet également de rapprocher les hélices pour générer une poussée plus efficiente. Par contre, nous verrons plus loin que ce n’est pas un avantage dans les manœuvres au port… Joystick obligatoire ! En revanche, la maniabilité en virage est exemplaire, avec une barre qui reste douce et précise de l’entrée à la sortie de courbe.
Le pied d’embase rotatif apporte un angle de braquage inédit
Autre innovation d’importance, l’embase moteur. Et plus particulièrement le pied d’embase pivotant, un système qui rappelle le pod Zeus que Mercury monte sur certains de ses in-board. Seul celui-ci est mobile, le fût d’embase et la tête motrice restant immobiles lorsque le pilote braque le volant. Deux avantages à cela : un effort bien moindre pour la direction électro-hydraulique et un angle de braquage supérieur à celui d’un hors-bord conventionnel : 45 degrés à partir du point zéro au lieu de 30. Notez que le Verado 600 intègre également la direction électro-hydraulique qui facilite le montage et ménage une zone arrière bien dégagée, plus valorisante au plan visuel et plus pratique pour l’accès à la baignade. N’oublions pas la double hélice contre-rotative qui annule l’effet de couple et optimise la motricité au démarrage et en sortie de virage. Un avantage non négligeable aussi en montage mono pour éradiquer l’énorme effet de couple que pourrait produire une telle puissance…
Mercury Marine a également pensé à faciliter le travail des concessionnaires pour la maintenance. Le Verado 600 concentre plusieurs points de contrôle dans le haut moteur. Une trappe au sommet du capot permet d’effectuer les opérations courantes toutes les 200 heures, sans besoin de mettre le bateau à terre. Un avantage appréciable lorsqu’on connaît le tarif d’une sortie d’eau pour un bateau de plus de 12 mètres !
Au plan esthétique, le nouveau « monstre » est du genre massif et il hérite du capot des nouveaux V6 et V8, en forme de chapeau chinois. Il est proposé en trois nuances de blanc, ou revêtu de la traditionnelle livrée noire (Phantom Black). Pour les acquéreurs de grands semi-rigides qui seraient intéressés, le Verado 600 est déjà disponible chez les concessionnaires du réseau Mercury. Il faudra néanmoins être en capacité de signer un chèque de plus de 96 685 euros, minimum, par moteur bien sûr ! Et dans la vraie vie, c’est-à-dire montage compris, cela fera un bon 100 000 euros pièce… Ce tarif inclus tout de même le système SmartCraft avec Joystick Piloting et Active Trim.
Des V12 à la voix très discrète
Passons à la pratique… Merveilleuse machine à avaler les milles en mer ouverte, le grand semi-rigide de Bernico Racing (14 mètres) profite de l’expérience que ce chantier tire de la compétition offshore. Une carène en V profond, ultra-rigide, quasi insensible aux impacts d’une houle de 70 cm agrémentée d’un clapot désordonné. Le propos n’étant pas le bateau mais les moteurs (une paire de Verado 600), revenons au démarrage. Que dire sinon que le phénoménale poussée attendue au déjaugeage n’a pas vraiment eu lieu. La mise en action s’est révélée plutôt lente comme l’atteste notre chrono de 7’’2. Il est vrai que les Verado montés sur le Bernico possédaient une embase trop longue et le résultat équivalait à des moteurs montés trop bas. Quant à la transmission à deux rapports (le premier pour « arracher » le bateau, le second pour l’allonge), il n’est pas sensible. Difficile, en effet, de discerner le changement de vitesse, la boîte « shiftant » à la marnière d’un double embrayage sur une automobile haut de gamme… La montée en régime s’avère donc progressive, et la sensation de grande puissance intervient bien plus haut, vers 3 500 / 4 000 tr/min, notre dos se retrouvant collé au fond du baquet. Dès lors, le souffle du V12 semble inépuisable… sauf que, au prétexte que Mercury ne souhaitait pas communiquer sur la vitesse maxi, notre pilote, Nico Bertels, patron de Bernico Racing, ex-skieur nautique de vitesse et ex-pilote d’offshore, avait pour consigne de ne pas dépasser 5 500 tr/min. Régime auquel nous avons pris 54,5 nœuds. En fait, le Bernico et son duo de V12 aurait atteint 68 nœuds à 6 400 tr/min. Mais, chut… c’est confidentiel !
Au-delà de ce petit galop d’essai, un peu frustrant, nous avons pu deux semaines plus tard, à l’occasion du Monaco Yacht Show, tirer des bords, cette fois-ci sans limitation, à bord d’un Ribco Venom 44 (13,15 m) équipé des deux mêmes Verado 600. Au démarrage, de 0 à 20 nœuds, le constat n’est guère différent en termes de sensations, malgré un léger mieux au plan chronométrique. Même impression de puissance aussi vers 4 000 tr/min lorsqu’on pousse franchement les accélérateurs. Après avoir déconnecté l’ActivTrim, nous avons pu profiter de cette longue et fine carène à triple redan pour essayer de décrocher une belle V-max. Mais, le plan d’eau un peu capricieux ne nous a pas permis d’atteindre les 68,3 nœuds enregistrés sur le GPS, résultant d’un essai effectué par le patron du chantier grec et un technicien Mercury. Mais, en signant un 64 nœuds, nous avons pu apprécier jusqu’au 6 400 tr/min la tonalité des V12. Ou plutôt… l’absence de voix, tellement ces mécaniques sont discrètes au plan sonore ! Des moteurs plus Carla Bruni que Maria Calas… Une discrétion que les passagers apprécieront lors des longues promenades à vitesse élevée. Les « pilotes » eux resteront sur leur faim… Par ailleurs, en effectuant quelques petits sauts de vague à pleine vitesse avec le Ribco, nous avons eu la sensation que les énormes Mercury secouaient la coque lors des remises de gaz… Cela confirme que ces Verado 600 se destinent davantage à des bateaux plus lourds et moins sportifs que les semi-rigides essayés ici. Sur le Bernico comme sur le Ribco, un trio de Mercury 450 R serait plus approprié : plus puissant (1 350 chevaux) et plus léger (939 kg)…
Des ratios vitesse/distance/consommation vraiment convaincants
Concernant le rendement énergétique du Verado 600, nos relevés montrent l’efficience du rapport long de la boîte de vitesses qui intervient une fois le bateau au planning. Les meilleurs ratios obtenus avec les deux semi-rigides (0,29 mille par litre pour le Bernico, 0,30 pour le Ribco) sont remarquables eu égard à la puissance disponible : 1 200 chevaux ! A titre de comparaison, on peut rapprocher les performances obtenues avec le Venom 44 de celles relevées sur un Tempest 44 (poids et longueur comparables) au même régime de 3 500 tr/min (le meilleur rendement pour les deux bateaux) : 28,6 nœuds, 133,5 l/h et 0,21 m/l pour le Capelli, 34,0 nœuds, 113,6 l/h et 0,30 m/l pour le Ribco. Précisons néanmoins que le T44 était équipé de trois Yamaha 425 ch, affichant une puissance cumulée de 75 chevaux supérieure à celle du Venom 44.
De retour au port, pour les manœuvres, mieux vaut utiliser le joystick plutôt que de tenter d’opérer de manière classique en jouant des inverseurs. Dans ce second cas, il est très difficile de faire pivoter le bateau, sans doute en raison de sa longueur et de la proximité des hélices, les V12 fixes et ouverts à seulement 64 degrés étant montés très près l’un de l’autre sur le tableau arrière. De ce fait, ils n’engendrent pas un effet de levier suffisant. Mais, le Joystick Piloting fait parfaitement le job. Le Ribco ajoutait même un propulseur d’étrave. De quoi réussir sa prise de quai sans appréhension.
En conclusion, ce hors-bord de 600 chevaux est un concentré de puissance et de technologie, avec des solutions réellement audacieuses. Il est vrai qu’avec Mercury nous sommes habitués à un flot régulier d’innovations… Tim Reid, vice-président du développement et de l’ingénierie chez Mercury Marine, en témoigne : « Nous avons consenti des investissements considérables et des années d'efforts afin d’améliorer notre capacité à transformer des idées hautement créatives en solutions pratiques, fonctionnelles et fiables » En effet, le lancement du V12 Verado s’inscrit dans un plan d’investissements en R&D, démarré en 2008, pour un budget de plus de 1,5 milliard de dollars !