Essai paru le 23/11/2020
Le motoriste japonais, qui se fait de plus en plus présent sur le marché du hors-bord, ne se repose pas sur ses lauriers et présente cet automne trois « nouveaux » modèles de 115, 140 et 300 chevaux. Au vrai, les deux premiers enregistrent de nombreuses évolutions, principalement techniques, et le troisième est une déclinaison des 350 et 325 à double hélice. Nous avons pu les tester sur l’Etang de Thau.
Texte Philippe Leblond – Philippe Leblond et Suzuki Marine France
Les DF115 et DF140 ne sont pas des inconnus. Cela fait même longtemps qu’ils ont leur place dans la large famille des hors-bord Suzuki. Certes, le DF115 a changé de cylindrée il y a quelques années (2012), pour adopter le même bloc que celui du DF140 (apparu en 2002), ces deux mécaniques ayant déjà reçu une série de perfectionnements, au rang desquels le fameux « Lean Burn Control » inauguré avec le DF90, en 2008. Le DF300, lui aussi, n’a pas de quoi surprendre au premier regard puisqu’il est rigoureusement identique aux deux plus grosses puissances de la gamme : 350 et 325 ch. Identique jusqu’au bout des pales, puisqu’il reprend à son compte l’embase à double hélice contre rotative de ses grands frères apparus respectivement en 2017 et 2018. Pour autant, il ne remplace pas le vénérable DF300, devenu DF300AP (rotation sélective) qui demeure au catalogue. Voyons plus en détail les évolutions à même de rendre ces engins encore meilleurs…
Commandes électroniques pour moyennes puissances
Avant de se pencher sur les perfectionnements apportés au 115 et 140 ch, un coup d’œil aux fiches techniques de ces deux moteurs possédant le même bloc, nous permet de souligner deux particularités. D’une part, le poids élevé du DF115 dans sa catégorie de puissance, soit une vingtaine de kilos de plus que ses concurrents, à l’exception des Honda et Tohatsu, une quinzaine de kilos plus lourds que le Suzuki mais affichant tout deux (Tohatsu dispose du bloc Honda) une cylindrée sensiblement plus élevée (2 354 cm3). D’autre part, nous notons à l’inverse que le DF140 demeure un moteur au rapport poids/puissance affuté (1,34 kg/ch) mais grâce, il est vrai, à sa modeste cylindrée (2 044 cm3). Il reste toutefois difficile de lui opposer un concurrent direct puisque, depuis son lancement en 2002, il est le seul hors-bord du marché à ce niveau de puissance…
Le bloc quatre cylindres en ligne à 16 soupapes, de 2 044 cm3 de cylindrée demeure identique. Toutefois, parmi les modifications majeures, il faut citer l’augmentation du taux de compression, moyen d’augmenter le rendement du moteur. « Nous passons à 10.6 au lieu de 9.5, valeur que l’on trouve plus généralement. Cela permet aussi d’augmenter le couple pour des montées en régime plus franches. Nos ingénieurs ont effectué plus d’un millier de simulation afin d’optimiser la forme de la chambre de combustion, des pistons et de l’admission d’air de ces moteurs.», insiste Laurent Lépicier, responsable technique de Suzuki Marine France. Autre apport technique d’importance, l’adoption sur les DF115 et DF140 du système SPC (Suzuki Precision Control), soit la commande électronique bi-fonctionnelle gaz/inversion de marche, qui jusque là était réservée aux fortes puissances (à partir de 150 ch). Une avancée technique que l’on ne trouve pas à ce niveau de puissance chez les autres marques. Ce type de commande offre plus de douceur et de précision dans son maniement lors des manœuvres au port, au mouillage, ou des parties de pêche que la traditionnelle commande à câble. A condition d’en durcir la friction (réglage), elle conserve aussi cet avantage en pilotage sportif. Les changements de marche se font en souplesse, sans effet de crabotage, sans aucun bruit ni à-coup, grâce à l’actuateur (moteur électrique) qui traduit les actions du pilote. Cette commande « wireless » a aussi pour avantage de faciliter le montage. En effet, le faisceau électrique utilisé est plus souple et moins encombrant que les câbles qui nécessitaient d’être graissés puis remplacés périodiquement.
Sur le plan pratique, encore, Laurent Lépicier tient à souligner : « Sur les nouveaux DF115 et 140, il est maintenant possible de changer le filtre à huile sans être obligé de déposer la partie inférieure du carter moteur. Et la jauge à huile, plus accessible, bénéficie d’un diamètre plus important permettant de vidanger par aspiration. Toujours au sujet de l’huile, un petit collecteur permet de récupérer le lubrifiant qui pourrait s’échapper lors du changement de filtre et polluer l’eau… Autre amélioration, le raccord de branchement pour un jet d’eau de rinçage figure à la fois sur la face avant et sur le flanc du moteur, toujours dans le but de faciliter l’entretien. »
Une baisse sensible de la consommation
Au plan technique, mentionnons d’abord le fameux Lean Burn Control qui consiste à appauvrir le mélange air/essence, toujours avec l’objectif d’une diminution de la consommation et de la… pollution. Cette cartographie d’injection vise à ne délivrer qu’un seul gramme d’essence pour 17 à 20 grammes d’air sur les mi régimes. Résultat : des rendements moteurs améliorés, surtout en régime stabilisé sur la plage correspondant aux allures de croisière, soit celle qui s’exerce la majeure partie du temps de navigation, d’où une baisse de conso qui n’est pas anodine. Suzuki évoque une hausse du rendement de 6% pour le DF115 et de 7% pour le DF140. Toujours bon à prendre, même si Lean Burn était déjà performant sur les DF115A et DF140A… Autre amélioration : la circulation de l’air sous le capot. L’admission d’air semi-directe (flux de 100 km/h) se fait par la prise d’air arrière du capot afin d’éviter l’intrusion d’embruns. Un résonateur attenue le volume sonore de l’admission d’air. Par ailleurs, un nouveau volant moteur brassant plus d’air favorise l’évacuation de l’air chaud, par les ouïes latérales du capot. Pour ce qui est de la transmission, l’embase est identique à ce qu’elle était, à l’exception de l’effet de crabotage qui disparaît en raison de l’électronique. N’oublions pas le nouvel afficheur multifonction Suzuki, disponible en 7 ou 16 pouces, qui offre une lecture très agréable tout en fournissant un grand nombre d’informations aidant à maîtriser la bonne marche du moteur.
Terminons par l’esthétique. Ces deux Suzuki bénéficient d’un design réactualisé du capot et de la cuvette et, pour les moteurs qui ne sont pas noirs, d’une nouvelle teinte blanche, moins crème, ou si vous préférez, plus blanche. Ainsi, la légendaire « casquette » arrière du DF140 n’est plus aussi proéminente. Enfin, la firme Suzuki, qui fête son 100e anniversaire, tient à montrer qu’elle vit avec son temps, et fait savoir qu’elle n’utilise plus de plastique pour le conditionnement de ses hors-bord.
Double hélice vs effet de couple
Pour ce qui est du DF300BT, il ne crée pas un nouveau niveau de puissance dans la gamme Suzuki puisqu’il existe depuis le début des années 2000, avec le DF300 V6 de 4 028 cm3, qui fut ,à l’époque de sa sortie, le plus puissant hors-bord 4-temps du marché, moteur qui est toujours commercialisé. Ce nouveau 300 chevaux est en fait une déclinaison du fameux DF350 apparu en 2017, suivi un an après de son petit frère, le DF325. Il adopte donc le même bloc moteur V6 à 55° de 4 390 cm3 (plus gros hors-bord V6 du marché) et surtout le point le plus remarquable de cette série « Geki », une embase à deux hélices en contre rotation. Cette technologie permet de neutraliser l’effet de couple exercé par une hélice unique, surtout au démarrage ou lors des remises de gaz. Cet effet indésirable – le bateau s’incline sur son flanc bâbord (pour une hélice pas à droite, l’inverse pour une hélice pas à gauche) – est souvent proportionnel à la puissance et à la cylindrée du moteur. C’est donc un avantage lorsqu’on désire disposer d’un monomoteur de forte puissance, de surcroît sur une coque légère et en V profond, plus sensible au couple de renversement de l’hélice qu’un bateau lourd en V moyen. Autre ingrédient remarquable sur ce gros V6 : l’insonorisation. « Suzuki accorde toujours une grande importance au niveau sonore de ces moteurs, reprend Laurent Lépicier. C’est pour cela que le DF300 reprend le système inauguré avec le DF350 et dont profite aussi le DF325. Le facteur de bruit numéro un sur un moteur, c’est l’admission d’air. D’où l’adoption d’un résonateur de bruit, composé d’une boîte comportant des chicanes, et qui ne travaille pas seulement sur la diminution des décibels, mais aussi sur la nature des fréquences. » Avec une priorité pour les aiguës qui sont les fréquences auxquelles l’oreille humaine est la plus sensible.
Les nouveaux D115BG et D140BG, destinés à des semi-rigides d’environ 6 à 7 mètres, seront disponibles au travers du réseau de concessionnaires Suzuki début 2021. Quant au DF300B, présenté au Nautic 2019, il est déjà en vente depuis le printemps dernier, mais c’est la première fois qu’il faisait l’objet d’une présentation à la presse spécialisée, les mesures sanitaires liées à la Covid-19 ayant retardé ces essais.
Lean Burn : un régime très strict !
Passons de la théorie à la pratique… Ces deux journées d’essais ont été organisées par Suzuki Marine France avec le concours de son concessionnaire Sud Yachting, basé à Bouzigues, sur l’Etang de Thau. Une aubaine qu’elles ne se soient pas déroulées en mer ouverte, car le dieu Eole était plutôt de mauvais poil, avec une brise soutenue et des rafales à 35 nœuds. Sur l’étang occitan, malgré un clapot agressif, nous avons pu mesurer convenablement les performances des trois semi-rigides équipés des nouveaux Suzuki. Un 3D Tender Dream 6 pour le DF115, un 3D Tender Lux 655 pour le DF140 et un Marshall M6 pour le DF300. Voici nos impressions…
Commençons par les DF115BG et DF140BG. Difficile, à distance, de formuler des impressions comparatives, n’ayant pas sous la main les anciens DF115A et DF140A... Ce que l’on peut dire, c’est que le niveau de performances de ces deux quatre cylindres est satisfaisant, principalement au plan de la vélocité. Nos deux ensembles ont atteint pile les 40 nœuds, ce qui n’est pas courant, surtout avec un 115 ch. Mais, au regard du poids du Lux 655 qu’il doit propulser (900 kg sans moteur, soit 400 de plus que le Dream 6), le mérite du DF140 à atteindre cette marque n’est pas moins grand. Les temps de déjaugeage sont convenables (4’’5 et 4’’9), mais sans doute en raison de ce surcroît pondéral évoqué ci-dessus, le DF140 a marqué le pas pour son chrono de 0 à 20 nœuds : 7’’2 contre 4’’7 au DF115. Une explication : l’hélice du DF140, deux pas plus longue à diamètre égal que celle du DF115 (23’’ contre 21’’) lui a permis certes d’atteindre 40 nœuds, mais au détriment du punch à l’accélération. Il faut ajouter que, de surcroît, nous étions un de plus à bord du Lux 655… A sa décharge aussi, avec 140 chevaux nous étions loin de la puissance maxi autorisée sur ce bateau (200 ch) alors que le Dream 6 pouvait compter sur une puissance proche du maxi : 115 ch pour 120. Mais, parlons maintenant de ce qui est le point fort de ses deux nouveaux moteurs : les rendements. On retiendra pour le DF115, l’excellentissime 1,69 milles par litre à 3 500 tr/min, assorti d’une vitesse de 20 nœuds (allure de croisière parfaite pour un bateau de cette dimension) et, pour le DF140, 1,33 mille par litre pour 22 nœuds, un rythme plaisant pour naviguer en famille en mer ouverte. Chose rare, ce meilleur rendement offert par le DF140 est présent dès 3 000 tr/min et 13,3 nœuds ce qui laisse au pilote une belle liberté de choix pour croiser de la manière la plus économique sur le plan énergétique. Le DF115 délivre également une large palette de super rendements (de 3 000 à 4 500 tr/min !) témoins de l’efficacité du système Lean Burn, qui se charge de mettre les moteurs « au régime ». Et si les chiffres d’autonomie des deux 3D Tender sont inférieurs à la normale (122 et 120 milles au meilleur rendement), c’est en raison de la faible capacité des réservoirs… Avec ses nouveaux Suzuki, à commande électronique, nous avons aussi apprécié la douceur des changements de marche en manœuvre et la précision du contrôle des gaz pour affiner l’arrivée de la puissance. Par contre, lorsque le plan d’eau se durcit (nous avions 50 à 70 cm d’un clapot agressif), le levier de gaz est un peu trop souple dans son réglage de base. Il conviendra d’opérer un réglage sur sa vis de friction pour le raffermir un peu, afin de ne pas mettre plus de gaz là ou en voudrait moins en pilotage rapide. On a aussi apprécié le niveau sonore, très contenu jusqu’à 4 500 tr/min, et la possibilité aux différents régimes de croisière de converser derrière la console, sans avoir à hausser le ton. Au-dessus de ce régime, le son monte d’un cran et, s’agissant d’un quatre cylindres, sans charme particulier.
Passons deux crans au-dessus avec le pilotage du DF300… Monté sur un Marshall de près de huit mètres mais au poids contenu (900 kg seulement), le nouveau 300 ch Suzuki fait admirer son punch et son impressionnante motricité que ce soit au démarrage (3’’1 seulement pour déjauger, 4’’2 pour franchir les 20 nœuds), ou en sortie de virage avec des relances énergiques en l’absence de ventilation grâce aux deux hélices contre rotatives, qui mordent dans l’eau quel que soit le rayon de braquage et l’intensité des gaz. Ce binôme Marshall/DF300 fonctionne parfaitement, distillant un pilote attractif avec une carène vivante mais qui tolère bien cette puissance. Le niveau sonore semble plus élevé qu’avec les DF115 et DF140, mais la voix du V6 lorsqu’il approche du régime maxi évoque la sportivité et ajoute