Nous voulions tester ce cabinier de moins de 7 mètres dans des conditions hauturières, c'est chose faite ! Après 150 milles, parcourus par une mer difficile, entre Corse et Sardaigne, le n-ZO, fer de lance des ambitions nouvelles du constructeur français, a prouvé qu'il était apte. Marin, habitable et convivial, ce nouveau Zodiac est un vrai semi-rigide de croisière.
Texte et photos Philippe Leblond
Rendez-vous était pris à Ajaccio, afin de mettre à l'épreuve le n-ZO, à l'état de prototype quasiment finalisé. Objectif : rallier Porto-Vecchio en passant par les îles Lavezzi (Corse) et Madalena (Sardaigne), avec une bonne tranche de navigation dans les Bouches de Bonifacio, passage redouté des navigateurs, tant à voile qu'à moteur. Nous avons pu le vérifier lors de cet essai longue durée (deux jours pleins de navigation avec nuit passée à bord), d'autant que le vent de nord-ouest de 6 beauforts nous a constamment accompagnés. Résultat : une mer hachée, par-dessus une houle atteignant parfois 3 mètres… Des conditions à même de poser des difficultés à un semi-rigide de ce gabarit. Disons-le tout de suite, le n-ZO nous a bluffé par son comportement marin et le relatif confort qu'il nous a dispensé durant cette longue séquence de "machine à laver" qui a démarré avant même la sortie du Golfe d'Ajaccio, pour prendre fin dans les derniers milles, à l'approche de Porto-Vecchio. Bien sûr, nous n'avons pu éviter des douches d'embruns à répétition, et le programme "séchage" est intervenu un peu tard à notre goût, mais nous avons pu naviguer sans angoisse aucune. Deux raisons majeures à cela : un dessin de carène efficace, mais aussi la masse exceptionnelle du n-ZO. La finesse des entrées d'eau à l'étrave et l'angle de quille conservant 22,5 degrés au tableau arrière ont fait merveille dans cette mer démontée. Concernant le poids, le n-ZO est tout simplement le semi-rigide le plus lourd du marché à moins de 7 m. Or, on sait l'effet bénéfique de la masse en termes de confort dans la vague… Revers de la médaille, même avec 250 chevaux, la puissance maxi autorisée en monomoteur (en bimoteur, le n-ZO peut s'équiper de deux 150 ch) parvient tout juste à animer ce lourd semi-rigide à cabine. Comme vous le constatez, le n-ZO ne brille pas par son rapport poids/puissance (7,19 kg/ch !), et malgré toutes ses qualités, le Yamaha F250 (3,3 litres de cylindrée tout de même) souffre pour dynamiser ce poids lourd. Certes, la vitesse de pointe fait bonne figure (Zodiac aurait réussi 41,8 nds dans des conditions idéales), mais les reprises s'en ressentent. Que ce soit au déjaugeage, ou en sortie de virage, le V6 nippon a beau mettre tout le punch que lui apporte sa distribution variable, le n-ZO reste un peu apathique. Dommage, car la carène semble posséder un tempérament joueur… La bimotorisation, avec une puissance maxi supérieure de 50 ch (2 x 150 ch) devrait s'avérer bénéfique sur un tel bateau, tant au plan du comportement (plus de vivacité) que des performances. Le poids réclame du couple, or deux F150 cubent au total 5 340 cm3 ! Deux litres de mieux que le F250… Voilà qui devrait rendre un peu plus réactif le n-ZO, et lui octroyer une plage de régime de croisière plus large sans trop plomber la consommation. Vivement un bateau d'essai bimoteur que l'on puisse comparer ! Mais tel quel, le Zodiac à cabine s'en tire honorablement avec deux allures de croisière intéressantes, à 4 000 tr/min (20,2 nds) et 4 500 tr/min (25,2 nds), parfaites pour apprécier les longues traversées en confort et à l'économie. Le réservoir de 400 litres, est tout à fait en rapport avec le programme de croisière visé, procurant une autonomie de 200 milles à 20 nds. Pour en revenir au comportement et au pilotage, on ne peut qu'insister sur la sensation de sécurité et le confort que dispense le n-ZO. Son étrave bien défendue taille dans la vague avec un bel appétit, et ses flotteurs assurent une déflexion satisfaisante par mer de face. Par contre, avec le vent et la mer que nous avions, tout bord par le travers se soldait par des salves d'embruns, contre lesquels la plupart des bateaux ne peuvent rien. La tenue de cap est un régal, quels que soient l'angle du trim et la direction de la mer, et en termes d'équilibre, on ne voit pas grand-chose à redire. Le Zodiac affiche une assiette exemplaire, tant en longitudinal (pas de marsouinage) qu'en latéral (pas de roulis). Lorsqu'on attaque face à la vague, on ne ressent pas l'effet de "nez léger", de même, quand on trime à l'excès on ne constate aucune amorce de roulis ou de raquettage. Du coup on a regretté de ne pas disposer de plus de puissance, car face à la vague, le n-ZO fait preuve de tempérament, avec des sauts bien à plat et une reprise de contact sur le dernier tiers de la coque, favorisant la remise de gaz. Les réceptions se font en souplesse, et l'étrave soulage correctement par mer d'arrière, malgré un volume gonflable en diminution (le nez est en polyester). Voilà pour l'aspect sécurité et la facilité de prise en main. Reste qu'à la barre, douce et précise au demeurant, le pilote ressent bien l'inertie du Zodiac, qui a un peu de mal à se relancer après les décélérations. En sortie de virage, c'est particulièrement sensible, même si le n-ZO fait preuve d'une belle maniabilité et a le bon goùt de ne pas faire ventiler son hélice.
Pour clore ce chapitre du comportement dynamique, il convient aussi de complimenter les concepteurs maison, pour le confort de conduite. Après neuf heures passées à la barre (en deux jours), et dans des conditions plutôt musclées, je n'ai ressenti aucune fatigue, bien qu'ayant piloté debout en permanence. Quelqu'un de grande taille trouvera que le siège est un peu trop près des commandes. Et quelqu'un de taille moyenne trouvera que la main courante qui protège le pare-brise est trop présente dans son champ de vision. Pour le reste, pas de critique : le boîtier électronique de Yamaha, qui offre un maniement précis et réactif, tombe bien sous la main, tandis que le volant garantit une prise efficace et ne perturbe pas la lecture des instruments multifonctions (dont débitmètre) Yamaha, comme du combiné GPS-sondeur Humminbird 957c (livré standard sur la version Optimum). Quoi qu'il en soit, malgré la généreuse ouverture de la cabine, avec sa porte plexi coulissante, le tableau de bord, qui comporte aussi une prise allume-cigare, ne souffre pas de sa compacité. Tout juste peut-on lui reprocher de ne pas offrir une petite boîte à gants. Notre premier contact visuel avec le n-ZO date du Salon de Gênes. à cette occasion, nous avions noté son esthétique très personnelle, que l'on doit à Vittorio Garoni, designer italien qui officie depuis de nombreuses années pour Jeanneau. D'abord en raison de son architecture qui intègre une vraie cabine, chose très rare sur un semi-rigide de cette longueur (à notre connaissance, l'Overboat Royal 23 Cabin est son seul concurrent à moins de 7 m), et du dessin de son flotteur à teugue, qui n'est pas sans rappeler celui des Marlin (cette marque italienne est la première à avoir présenté des tubes de cette forme) ou des Sea Hawk. Harmoniser la coque, les flotteurs et la cabine sur un bateau aussi court, n'est pas exercice facile… à côté de cela, la finition du modèle que nous avons essayé est encore perfectible. L'absence de mousse à cellules fermées dans les selleries, a tendance à retenir l'eau. Par ailleurs, le tissu utilisé pour le matelas de la couchette fait un peu "cheap" et s'avère salissant, les placages en bois dans la cabine laissent apparaître de nombreuses vis, les couvercles de coffres sont dénués de joint en caoutchouc… En revanche, le gel-coat des contremoules de cabine et de coffres est brillant, ainsi que l'inox de belle qualité. L'assemblage du flotteur amovible en Néoprène/Hypalon de chez Aérazur (une filiale de Zodiac) est convenable, sans atteindre la perfection des meilleures réalisations italiennes. Mais, plus que son apparence, c'est la conception du n-ZO qui retient notre attention. Doter un semi-rigide de cette longueur d'une cabine est un tour de force, également pour ce qui est du plan de pont. Et reconnaissons que Garoni a bien maîtrisé les espaces, malgré la présence toujours envahissante d'un flotteur. La largeur peu commune du n-ZO est un moyen facile d'accroître l'habitabilité et de préserver la facilité de circulation. Sur ce second point, signalons les passavants asymétriques (une signature de Garoni, inaugurée avec les vedettes Prestige de Jeanneau) et le passage latéral arrière, fermé par un portillon amovible. Les déplacements s'avèrent aisés, et sécurisés par les mains courantes et le balcon. Le bac moteur est encadré, comme il se doit, de deux petites plates-formes, celle de bâbord recevant l'échelle de bain télescopique en inox, la douchette et le nable de remplissage du réservoir d'eau étant à portée de main. Les surfaces planes sont "gaufrées" par un antidérapant pointe de diamant, mais la version Premium (la plus luxueuse) propose mieux : un plancher en teck ! Signalons aussi le caractère "marin" de l'accastillage. Nous avons ainsi pu apprécier l'efficacité du guindeau électrique à télécommande locale, les taquets bien dimensionnés, la présence de chaumards pour guider les amarres, et la robustesse des mains courantes. Parmi les détails pratiques, il convient de signaler le mini compresseur gonfleur/dégonfleur, qui permet de rapidement convertir le Zodiac au gabarit routier. Dès que l'on embarque sur le n-ZO, on est séduit par l'ampleur du cockpit. Le carré arrière, avec sa grande table à deux pieds convertible en solarium, a été approuvé lors de notre petit-déjeuner à Bonifacio, et de notre pique-nique à Caprera. La banquette en L et celle qui lui fait face, au dos du siège pilote, offrent un maximum de places assises (6 à 7). Pour ne rien gâter le bloc-cuisine, dissimulé sous la double assise de pilotage, est en relation directe avec le carré. Le petit évier y côtoie un réchaud à gaz simple feu (la bouteille prend place dans la partie basse du siège), et une glaciaire électrique Waeco dont nous avons pu apprécier l'efficacité. Ce lieu est aussi celui du rangement : la banquette en L en offre deux, dont un avec bac amovible compartimenté, très pratique, notamment pour du matériel de pêche ou de plongée. Sous ce bac, se trouvent les deux batteries et le réservoir d'eau. Le coffre latéral (lui aussi sous la banquette en L) est en mesure de recevoir le radeau de survie, obligatoire pour les navigations au-delà des 6 milles de la côte. Ces coffres, qui peuvent être fermés à l'aide d'un cadenas sont les seuls lieux de stockage avec ceux se trouvant sous la couchette de la cabine. Plutôt que choisir le concept "walkaround" qui favorise la circulation, avec un pont de plain-pied, Zodiac a opté pour une architecture "sundeck", avec un rouf surélevé, qui induit une cabine pleine largeur, mais impose une différence de niveau, avec deux marches pour accéder au pont avant, totalement occupé par le solarium. Cruel dilemme… mais, nous approuvons le choix de Zodiac qui a préféré offrir une vraie cabine, plutôt qu'un abri, avec des WC marins indépendants, bénéficiant eux aussi d'une hauteur sous-barrots décente (1,52 m). Parmi les points forts de cette cabine, outre son volume que les claustrophobes ne redouteront pas, une couchette de grande dimension (191 x 170 cm) dont le complément peut se convertir en dînette. Nous avons aussi apprécié la bonne ventilation naturelle (aucune condensation au réveil), grâce aux hublots, au capot de pont, et à la large porte. Par contre, on déplore le manque relatif de rangements (des équipets latéraux seraient les bienvenus). Il y a aussi le bruit de la chaîne, qui rague dans son écubier lorsque le Zodiac évite sur son ancre (notre mouillage était venté). Pas facile de trouver le sommeil… Une protection (caoutchouc ou autre) devrait palier cette nuisance. Côté autonomie, les 45 litres du réservoir d'eau douce risquent de s'avérer un peu courts. Ils ne sont pas en proportion des 400 unités de carburant, qui militent en faveur de l'espacement des ravitaillements, et des mouillages forains. Le nable de remplissage pour l'essence se trouve au pied de la marche bâbord et comporte un petit bac de débordement. Bien vu, mais le dessin du conduit de réservoir est à revoir car il refoule dès que l'on demande au pistolet de la pompe un débit rapide. Faire le plein des 400 litres prend alors une bonne demi-heure ! .
Proposer un tel semi-rigide, témoigne des ambitions nouvelles de Zodiac. Plutôt que de verser dans la mode du semi-rigide géant, le constructeur français a préféré un bateau hauturier et habitable qui échappe à la taxation. Une démarche originale qui aurait pu tourner court, mais Zodiac a su y mettre les ingrédients : d'abord une carène marine et endurante, un cockpit spacieux et convivial, ainsi qu'une vraie cabine permettant d'envisager la croisière en amoureux, offrant un confort tout autre que l'habituel "kit camping" qui équipe les semi-rigides de cette longueur. Bien joué !