Cette navigation, relativement courte puisqu'elle n'excède guère une quinzaine de milles, doit impérativement se faire à un train de sénateur. Car, pour être courte, elle n'en est pas moins dense… Le jeu consiste à faire du rase-cailloux, pour bien apprécier les coins et recoins, qui recèlent de véritables joyaux d'architecture de la première moitié du siècle dernier, de ceux qui ont fait les grandes heures de cette "French Riviera" que le monde entier nous envie… Comprenez par là que cette découverte n'a rien d'une succession de mouillages sauvages, comme nous vous en présentons couramment, mais consiste en un cabotage haut de gamme, au cours duquel un second spectacle s'offre à vous, celui des bateaux qui ont marqué la plaisance de prestige.
Qui dit promenade de standing, dit semi-rigide raffiné. Ainsi prenons-nous place à bord d'un superbe Bat 745 Artik, à moteur Mercruiser in-board, aimablement mis à notre disposition par Offshore Services, officine ayant "pignon sur quai" au port de Cap d'Ail, et dont la compétence en matière de plaisance à moteur n'est plus à vanter. Flotteurs blancs immaculés, polyester étincelant, puissant V8 essence de 320 chevaux… En un mot, la classe ! Après avoir doublé l'impressionnant musoir, curieusement colonisé par la villa avec piscine d'un Anglais (vue mer absolument imprenable !), nous obliquons vers l'ouest : direction la Rade de Villefranche, haut lieu de la Côte d’Azur. Sachant que nous remettrons le cap sur notre point de départ au retour, nous en profitons pour jouir des sensations qu'offre ce superbe roadster des flots. Dans un bruit de Riva, chevaux au vent, nous poussons une pointe à 42 nds (voir essai dans Pneu Mag n°64). En ce début octobre, la mer est d'huile et le ciel d'un bleu intense… Du pur bonheur !
Quelques minutes plus tard, notre étrave pointe dans cette profonde rade (2 milles) qui sert souvent de refuge aux grands yachts lors des coups de vent d'est. En cette saison, les navires au mouillage sont plus rares. À partir des marques vertes peintes sur les rochers, la vitesse est limitée à 5 nds. Nous pénétrons dans la Darse, infrastructure portuaire datant du XVIe siècle, ayant conservé la noblesse de ses quais en pierre de taille. En surplomb, veille la Citadelle… L'histoire sert ici d'écrin à la convivialité méridionale, qui s'exprime notamment à travers les notes chaudes des façades donnant à l'eau des reflets ocre, sur laquelle dodelinent les pointus des quelques pêcheurs encore en activité. En l'absence de ponton d'accueil, il n'est pas facile d'y trouver de la place en haute saison. Sur un filet de gaz, nous ressortons du port pour nous rendre jusqu'au fond de la rade. C'est ici que commence le "festival" des villas, symboles de la Riviera des grandes heures. Celles de la Belle Époque, avec une architecture mêlant Art déco et motifs provençaux. Non seulement Saint-Jean-Cap-Ferrat est le lieu où l'immobilier est le plus cher de France, mais les demeures rivalisent dans la démesure. De terrasses à balustres donnant sur la mer, en galeries aux multiples arcades, difficile de dénombrer les pièces de ces paradis de villégiature, à l'ombre des grands pins maritimes, dont plusieurs possèdent leur petit embarcadère privé, ou garage à bateaux creusé dans le rocher, quand ce n'est pas, carrément, un petit port privé. Comme celui qui abrite un Pershing de 70 ou 80 pieds, dont les deux radômes dépassent de la jetée. L'une des plus spectaculaires de ces villas possède même un funiculaire avec accès direct à la mer !
Le tour de Saint-Jean-Cap-Ferrat nous conduit logiquement jusqu'au port du même nom, après l'anse de la Scaletta, ourlée d'une petite plage où l'eau, claire et presque toujours calme, est propice à la baignade. Ce port, lové dans un écrin de verdure, est certainement l'un des plus calmes de la Côte d’Azur. Toutefois, en haute saison, il n'est pas facile d'y trouver à amarrer. Après avoir rapidement fait emplette d'un pique-nique dans les magasins d'alimentation à portée de gaffe, il est toujours possible de mouiller dans la rade de Saint-Hospice, un bon abri, sauf par vent d'est. Un peu plus à l'est, nous jetons l'ancre pour une petite séance de photos dans l'une des rares criques de ce littoral. La roche qui forme comme une grotte surplombe notre semi-rigide, baigné par le soleil. On resterait bien un peu plus à se faire dorer par ces rayons de fin de journée… mais, le reportage à ses obligations.
Un mille plus loin, se profile déjà la silhouette "exotique" de la Villa Kérylos. Cette "folie" du début du XXe siècle est l'évocation d'un petit palais de la Grèce antique (voir guide pratique). De sa blancheur, elle domine le petit port des Fourmis, la plus petite des deux marinas de Beaulieu-sur-Mer. Le coup d'œil, face à Beaulieu, est spectaculaire. Cette station balnéaire cossue est comme écrasée par un puissant relief calcaire en forme de cirque. À moins de vouloir jouer au casino, ou de se restaurer dans l'un des nombreux restaurants le long du quai, il n'y a pas d'intérêt particulier à prolonger la visite. Au reste, la côte, lorsqu'on met le cap plus à l'est en direction de Monaco, n'est pas très découpée et donc peu propice aux mouillages, la route de basse corniche et le chemin de fer longeant la mer. Il reste toutefois quelques belles villas ponctuant, de temps à autre, la balade, comme celle qui possède sa piscine, en position avancée, sur une minuscule presqu'île arborée. Il y a aussi, sous le vertigineux village d'Eze, la luxueuse demeure au crépi saumon, très "à l'italienne", du groupe de rock U2. Celle-ci donne directement sur une petite plage, où l'on trouve quelques restaurants les "pieds dans l'eau" (nous vous recommandons le Papaya Beach). Après être repassé devant le Port de Cap d'Ail, puis celui de Fontvielle, port "adjoint"de Monaco, la haute silhouette du musée océanographique se dresse au-dessus de la mer. Puis, c'est l'arrivée au Port Hercule, le port historique de la Principauté, qui a reçu, il y a quelques années, deux énormes jetées flottantes en béton afin de pouvoir accueillir les paquebots de croisière et limiter le ressac de la houle, inconvénient chronique de ce port. Monaco est blotti dans un cirque montagneux qui marie les tours de béton et de verre et la roche qui culmine très haut avec le village de La Turbie. La darse des grands yachts est dominée à droite par le palace moderne Loews, ainsi que Monte-Carlo et son fameux casino. Lors de notre passage le toujours extraordinaire Lady Moura était à quai, avec ses multiples niveaux de pont sur 105 m de long. Occupant permanent des lieux, l'Atlantis, superyacht de 117 m du défunt armateur grec Niarkos, fait aussi son effet…
À gauche, le Yacht Club de Monaco, l'un des lieux les plus sélects du yachting mondial. Quelques tours d'hélice plus loin, les pontons du mythique importateur Riva, Monaco Boat Service et sa grue de mise à l'eau aux couleurs de la Principauté. Une brochette de Riva en bois verni est encore à l'eau. Les légendaires canots automobiles sont soigneusement recouverts de leur taud bleu, tandis qu'en arrière-plan, sur les bers à quai, deux autres esquifs "cultissimes" attendent de rejoindre leur élément : un Monte-Carlo Offshorer 30 et une Cigarette 36 Gladiator…
Un passionné de bateaux pourrait tourner des heures dans ce port… Mais, il est temps pour nous de terminer notre balade. Cap sur Menton ! La côte ne présentant pas grand intérêt au-delà de la Principauté, nous doublons rapidement le Cap Martin, pour découvrir la dernière ville française avant la frontière italienne. Les façades colorées et les toits roses sont dominés par l'église et son haut campanile. Le choc des cultures après Monaco ! Le charme traditionnel provençal opère immédiatement et, dans cette ville de 30 000 habitants qui ressemble à un gros village, on a tout de suite l'envie de mettre pied à terre… Préférez le vieux port à celui, plus grand mais excentré, de Garavan. Vous devriez pouvoir y trouver assez facilement une place, une centaine d'anneaux étant réservés aux bateaux de passage. En quelques enjambées, vous goûterez aux charmes de la vieille ville, et flânerez dans la rue piétonne aux commerces typiques de la région.
Nos bonnes adresses
Port de Villefranche
Restaurant-bar La Trinquette prépare une bonne cuisine typiquement méditerranéenne, notamment autour du poisson du jour. Menu à partir de 19 €. Ambiance familiale. Tél. 04 93 01 71 41
Saint-Jean-Cap-Ferrat
Restaurant-bar de Passable. Situé sur la plage privée éponyme du cap, il fait face à Villefranche. Fruits de mer, poissons grillés, spécialités italiennes… Ambiance décontractée mais chic. Tél. 04 93 37 06 17
Port de Saint-Jean-Cap-Ferrat
Le marchand de jus de fruits frais, situé sur le port (stand en forme d'orange), qui presse les meilleurs nectars de l'endroit.
Eze
Le Papaya Beach est un restaurant de poissons grillés et paella situé sur la plage d'Eze. Le chef, Pierre, élabore de délicieuses salades composées. Il est possible de jeter l'ancre en face, une navette vient vous chercher. Menu à 26 €. Tél. 04 93 01 50 33
Port Hercule de Monaco
Le restaurant Stars "N" Bars, situé sur le quai Antoine 1er se signale par une grande salle sur deux niveaux, où les pilotes de F1 ont leurs habitudes (monoplaces, casques et combinaisons authentiques font office de décoration). Cuisine américaine et tex-mex de bonne qualité, service aimable. Prix abordable. Tél. 377 97 97 95 95
Vieux Port de Menton
Au Pistou, restaurant de cuisine traditionnelle provençale, très appréciée pour sa soupe au… pistou, et ses poissons du pêcheur sur le grill. Comptez 20/25 €.
Tél. 04 93 57 45 89
Guide pratique
Où mettre à l'eau
Au Port de Cap d'Ail : la cale de mise à l'eau est gratuite en toute saison, et dispose d'un point d'eau pour le rinçage du bateau. Il est également possible de mettre à l'eau gratuitement au Port de Fontvielle (rampe plus large).
Carburant
Vous pouvez ravitailler au Port de Cap d'Ail, à droite avant de sortir du bassin (vente de glaçons). Par contre, il n'y a pas de poste de carburant à Fontvieille.
Le mouillage qui va bien
C'est l'un des très rares mouillages relativement sauvages et isolés de cette portion de côte. Cette petite crique aux eaux turquoise, nommée La Mala, se situe entre Saint-Jean-Cap-Ferrat et Beaulieu-sur-Mer.
À ne pas manquer…
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Les extravagantes villas du Cap-Ferrat, que ce soit dans la Rade de Villefranche (soleil l'après-midi) ou dans la Baie de Beaulieu (soleil le matin). Il suffit de longer la côte à 5 nœuds pour en prendre plein les yeux.
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Le Port de Fontvielle avec ses roches illuminées le soir venu. Kitsch mais spectaculaire.
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La Villa Kérylos, construite au début du siècle dernier par Théodore Reinach, un archéologue passionné de Grèce antique. Située entre les deux ports de Beaulieu, elle se visite toute l'année : colonnades, mosaïques, statuaire, terrasses et jardins donnant sur la mer. Dépaysement garanti !
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La rue piétonne de Menton, à quelques minutes à pied du vieux port. Nombreux commerces et ambiance provençale assurée.