Que ce soit au départ de Quiberon, de La Trinité-sur-Mer, de Port-Navalo ou du Crouesty, se rendre à Belle-Ile, la plus distante de nos trois îles, impose une navigation consistante. Consistante, mais accessible au plus grand nombre puisque le permis côtier l’autorise, la distance maximale d’un abri n’excédant jamais les 6 milles réglementaires. Pour les plus petites unités, il conviendra toutefois de tabler sur un bulletin météo en béton, car les 18 milles à effectuer peuvent prendre une tournure sportive si un vent soutenu s’oppose aux forts courants des marées à hauts coefficients (voir notre sujet sur la navigation dans le présent numéro). Quand les conditions s’avèrent difficiles pour atteindre la plus grande des trois îles, il est toujours possible de s’en tenir à Houat ou Hoëdic (six milles de moins), qui ferment la baie de Quiberon avant le saut vers le grand large…
Belle-Ile : symbole de la puissance océane
Après une traversée sans problème, au départ de La Trinité et via le fameux passage de la Teignouse, notre Sillinger 650 Silverline (plus précisément celui de la Société Bleu Rivage qui nous accompagne dans ce reportage) pointe son étrave entre les hauts musoirs du port de Le Palais, la "capitale" de Belle-Ile. Cela a beau être l’endroit le plus peuplé de l’île, l’ambiance est encore calme en cette fin juin. Ici, pas de stress : les quelques pêcheurs du coin devisent gentiment sur le large pan incliné colonisé par les multiples annexes en plastique rotomoulé des bateaux mouillés sur les bouées de l’avant-port. Alignés le long du quai d’échouage, les quelques petits restaurants et boutiques sont encore dans l’attente du déferlement de touristes espéré. Hautaine et austère, la Citadelle Vauban semble veiller sur cette quiétude, résignée qu’elle est de guetter des hordes d’envahisseurs d’un autre genre, d’autant qu’elle s’est reconvertie en hôtel-musée… En saison, il n’est pas évident de bénéficier d’une bouée dans l’avant-port. Dans ce cas, il faut poursuivre vers les bassins à flot. En entrant comme en sortant du port prenez garde de ne pas gêner les vedettes de passagers qui font la liaison avec le continent, car elles manœuvrent sans ménagement.
Nous poursuivons notre tour de l’île par le nord, et après une succession de gros blocs rocheux enserrant de petites plages de sable fin, nous pénétrons dans Sauzon, "fjord" verdoyant où l’étonnante promiscuité des maisons et des bateaux, lui confère cette tonalité qui a séduit de nombreux peintres. Dans ce petit havre de paix, les infrastructures sommaires proposées au plaisancier sont largement compensées par l’ambiance et le coup d’œil. Pour amarrer, il est d’ailleurs préférable de le faire sur les pontons situés à l’extérieur (avant de passer la jetée), vers Port Belloc. Par vent de nord à nord-est, mouillez dans le fond du port, tout en sachant que le bateau échouera à basse mer.
Après une agréable pause déjeuner sur la terrasse du Café de la Cale (voir guide), difficile de résister à l’appel d’une petite promenade digestive dans ce charmant village, dont les ruelles bordées de maisons anciennes, aux façades coquettes et colorées, plongent sur différentes parties du port en de merveilleux points de vue, de sorte que la mer est toujours présente dans le décor…
Nous quittons Sauzon à regrets, mais non sans une certaine excitation puisque le prochain "spot" de notre excursion n’est autre que l’impressionnante pointe des Poulains, immortalisée par la présence insolite de Sarah Bernhardt (la célèbre comédienne de théâtre y séjournera jusqu’à sa disparition, en 1923), et plus près de nous, par une photo majuscule de Philippe Plisson. C’est cet énorme éperon rocheux situé à l’extrême nord de l’île qui symbolise le mieux le caractère sauvage de Belle-Ile, marquant d’ailleurs le point de départ de la côte au vent, qualifiée à juste titre de côte… sauvage. Quand les tempêtes de fin d’automne arrivent, la puissante houle océane d’ouest et de nord-ouest vient s’y briser avec une puissance peu commune, sculptant les falaises en d’innombrables aiguilles ou grottes qui font résonner l’écho des brisants. Pour l’avoir fréquentée l’an dernier par une mer difficile, lors d’une séquence de pêche au bar musclée, et cette fois-ci par un temps de demoiselle, ce lieu a toujours quelque chose d’intimidant. Pourtant, sous le soleil, la mer d’huile, à la transparence surprenante, y prend des teintes émeraude qui incitent à la baignade. C’est d’ailleurs le premier d’une série de spots pour les amateurs de plongée. Dans ce secteur se tient l’un des mouillages les plus recherchés de Belle-Ile : Ster Wenn. Une anse profonde, soustraite aux rudesses de l’Atlantique, mais passablement fréquentée en haute saison. La lande verdoyante vient y mourir jusque dans ses eaux calmes et translucides. Un système de va-et-vient a été tendu entre les berges, pour y faciliter le mouillage. Lieu magique s’il en est...
Nous poursuivons. Le Suzuki 150 ch de notre Sillinger ronronne gentiment, nous laissant le temps d’admirer le travail d’érosion millénaire de l’océan sur cette côte sauvage qui alterne avec constance les roches aux formes suggestives et les petites plages au sable impeccable, car nettoyé chaque jour par la marée. Nous doublons quantité de grottes et d’anses, ou calanques appelées "ports" : Port du Vieux-Château, Port de Borderun, Port de Kerlédan, Port Skeul, Port Coton… La côte relativement accore, même à basse mer, autorise de naviguer à faible distance sans trop se focaliser sur le sondeur, ce qui n’est pas le cas à Houat et Hoëdic, nos prochaines étapes… Si le bateau reste le must pour partir à la découverte de Belle-Ile, il ne faut pas dédaigner le chemin de randonnée pédestre qui fait tout le tour de l’Ile (70 km) et réserve quelques points de vue à couper le souffle !
Houat : la plage, comme une signature
Quand on évoque Houat entre plaisanciers, un mot revient invariablement dans les conversations : la plage (Tréhac er Gouret). Non pas que Houat soit la seule à proposer de belles plages, mais celle dont tout le monde parle est effectivement un must. Sa forme en point d’interrogation, ses dunes, son éperon sablonneux qui plonge dans des eaux turquoise, son arc de cercle parfait… Deux kilomètres d’émerveillement et de volupté. Avec, pour ceux qui arrivent par la mer, un mouillage de choix sur une eau digne des Caraïbes (la température en moins, la marée en plus…), bien à l’abri des vents dominants.
Cette tranche de rêve n’est pas le seul sujet d’intérêt à Houat. Bien que nettement plus petite que Belle-Ile (5 km contre 17 km), ses terres ondulent au gré d’un relief qui culmine à 30 mètres offrant aussi de très beaux points de vue, notamment du Fort du Béniguet, protégé par sa batterie de vieux canons aujourd’hui rouillés. De cet ouvrage militaire, le panorama est splendide, avec l’Ile Valuec et son archipel qui découvre à marée descendante, engendrant de puissants courants visibles à l’œil nu.
Le Port de Saint-Gildas, situé au pied du village est le lieu d’atterrissage principal, avec la possibilité de mouiller sur des bouées (difficile en haute saison). Situé sur la côte nord, il garantit un bon abri pour les vents de tous secteurs. Par vent de secteur nord-est à sud-est, on peut aussi jeter l’ancre dans la très belle anse de Béniguet, à la pointe ouest de l’île. À Saint-Gildas la pêche à la langouste et au homard fait encore le bonheur de quelques professionnels. En témoigne le monceau de casiers qui s’amoncellent sur le quai. Après une petite grimpette, et quelques minutes de marche entre les haies des premières maisons, on arrive au cœur du petit bourg. Le centre en est la placette sur laquelle l’église et la mairie encadrent un monument aux morts. Village miniature, aux maisons parfaitement entretenues, Houat concentre environ 400 âmes l’hiver. Les îliens voient leur population plus que doubler en été, mais l’endroit reste néanmoins très calme, surtout le soir lorsque les vedettes du continent, déversant leur contingent de touristes, ont cessé leur service.
Hoëdic : une atmosphère intimiste
Située à seulement trois milles dans le sud-est de Houat, la petite sœur Hoëdic (prononcez "édic") est la plus petite de nos trois escales (longueur : 2,5 km). C’est aussi sur le plan physique, la moins spectaculaire. Plus plats, moins rocheux, ses rivages sont plus doux que ceux de Houat et surtout de Belle-Ile. De nombreuses petites plages se répartissent tout autour, transitions maritimes entre ce morceau de campagne et l’océan. Pour accéder au bourg, le Port de l’Argol (le port principal) est le plus proche. Situé sur la côte nord (sous le vent), il est mieux abrité que le minuscule Port de la Croix, qui se trouve à l’opposé au sud. Ce dernier, qui consiste en une simple jetée et quelques corps-morts, présente l’avantage de ne pas recevoir les vedettes de passagers, et compte tenu des dimensions restreintes de l’île, il n’est qu’à quelques minutes de marche du village. Ce bourg est moins concentré que celui de Houat, où les maisons sont blotties les unes contre les autres, dessinant des ruelles étroites, comme pour mieux filtrer le vigoureux vent du large. À Hoëdic, curieusement, les maisons sont plus espacées, les rues plus larges, moins organisées. L’église (de Saint-Goustan), elle-même, est un peu à l’écart, avec son monument aux morts et son cimetière où s’invitent sable et herbes folles. À la nef de l’église, en bois peint, est suspendue une belle maquette de vaisseau à trois mâts, ex-voto des pêcheurs en remerciement aux saints, ou à la mémoire des marins disparus.
Moins coquette que Houat, Hoëdic n’opère pas la même séduction. Mais, si de prime abord, elle retient moins l’attention du visiteur, son charme opère petit à petit. De la simplicité des maisons (pas de façades colorées ici), de la présence rassurante du Café du Repos avec sa grande terrasse, du petit restaurant Chez Jean-Paul, de la supérette, de la végétation spontanée (non, les roses trémières ne sont pas l’apanage de l’Ile de Ré), se dégage un fort sentiment d’authenticité. En fait Hoëdic n’a rien d’un décor de carte postale. C’est sans doute pour cela que des trois îles, elle est la plus dépaysante.
Après avoir viré le phare des Cardinaux (du nom de la bataille navale qui y fut livrée en 1759 contre les Anglais), érigé sur un tas de cailloux redoutables pour les navires venant du large, nous remettons le cap sur La Trinité. Cinglant sur notre semi-rigide, de l’iode plein les poumons, nous sommes conscients d’avoir vécu une excursion qui nous laissera de belles images, et qui, à coup sûr, nous donnera envie de revenir pour mieux faire connaissance avec ces trois îles qui ne sauraient dévoiler en une fois tous leurs trésors.